Je l’ai rencontré en 2013. Mais l’effervescence du moment ne nous avait pas permis d’échanger longtemps. Aujourd’hui je retrouve celui dont l’œuvre « Drame familial » a rencontré la mention spéciale au Prix Africa & Mediterraneo pour la meilleure BD africaine inédite. Il se nomme Benjamin Kouadio. Il est ivoirien.

Benjamin Kouadio
-Hello Benjamin!
Hello Orphelie !
-Tu es professeur d’arts plastiques, illustrateur, auteur de BD et sympathique (rires). Dis-nous en plus sur toi. 
Merci. Je suis aussi blogueur, scénariste, guitariste, coloriste et j’en passe. J’ai plusieurs cordes à mon arc.
 
– Tu as créé ton premier personnage célèbre à l’âge de 15 ans: « John Koutoukou »: Parle- nous de ce personnage moralisateur et amusant.
Je l’ai créé en 1982. En classe de 4ème. C’était un amateur de notre alcool frelaté locale appelé koutoukou, akpêtê, ou kpôyô(chez moi au village). Je trouvais intéressant de parler d’un alcoolique qui était loin d’être un exemple. Une sorte d’anti-héros. Le problème est qu’à la longue, il déteindrait négativement sur mon lectorat. La jeunesse surtout. Qui a envie de mettre entre les mains de ses enfants une BD faisant l’apologie d’un alcoolique invétéré ? Pas moi, en tout cas (rires).
A l’origine, John Koutoukou était un adulte chauve. Une cure de jouvence s’imposait. Je l’ai fait donc passer sur le billard de la création. Quelques coups de scalpel graphique et hop ! La métamorphose ! Avec un nouveau regard sur la société. L’appellation, je l’ai gardée. C’est amusant à entendre. Un peu comme le fou rire qui me prend quand j’entends des noms tels que François Mouton, Jean Boisson, Robert Soulard.
La devise de JK est « Z’yeux voient, bouche parle ». Lui, l’éveilleur des consciences anesthésiées par les mauvaises habitudes et les mauvais comportements. Qui ont la peau dure comme celle d’un saurien. Et cela n’est pas sans conséquence. Le pauvre ! Qui ne risque rien n’a jamais rien, n’est-ce pas ?(rires).
« La bande dessinée, c’est le texte et l’image »
– Il y a ensuite « Petit Débrouyair »: Tu as le chic pour trouver des noms à tes personnages. Pourquoi ces choix?
Ces choix sont motivés et très révélateurs de leur psychologie en général. Petit Débrouyair, c’est l’as de la débrouillardise. Il aurait pu s’appeler débrouillard. Comme cela se dit dans un français correct. Mais j’ai préféré gardé l’appellation originale de mon enfance. Celui qui se débrouille est un « débrouillair ».
Petit Débrouyair est un enfant issu d’un milieu modeste. Obligé qu’il est de se débrouiller pour subsister. Comme beaucoup d’enfants venant de milieux défavorisés et confrontés à la pauvreté, à la faim, au rejet, à l’égoïsme, à la méchanceté, à l’injustice… C’est dur. Mais qu’importe ! Il s’est lancé le défi de braver ces fléaux. En se débrouillant. Le système D, ce gamin en a fait son affaire.
Il est de nature optimiste. Dans sa quête du pain quotidien qu’il est toujours prêt à partager avec les nécessiteux, il a un allié de taille : DIEU qu’il appelle affectueusement « Le Vieux Père ».
Sa devise? Débrouiller n’est pas voler. Il n’est nullement question de s’apitoyer sur un quelconque sort ou de se morfondre. Il faut se battre. Telle est la loi de la vie.
Ce petit bout d’homme est né en 1996.
– Qu’est ce qui t’excite le plus: Enseigner ou publier des Bandes dessinées ?
Les deux. L’enseignement me permet de communiquer et partager ma passion de l’art et mon savoir-faire avec les apprenants. Cela fait 24 ans que ça dure. Une belle aventure ! Cet aspect de mon travail me permet d’être invité à des séminaires sur la BD en tant que formateur. La première était à Yaoundé en 2012. Et la deuxième aura lieu en ce mois d’Août 2014, ici à Abidjan. Publier des BD pour porter à hauteur d’yeux mon savoir-faire et mon regard sur la société. Et cela pour la postérité.
« Il n’y a pas à ma connaissance de journaliste spécialiste de bande dessinée. »
– La scène de la bande dessinée n’est pas très animée en Côte d’Ivoire. Comment tu pourrais l’expliquer?
Il y a eu différentes éditions du Festival de BD Cocobulles à Grand-Bassam qui ont connu des fortunes diverses. Une belle initiative qui a péché à certains niveaux. N’oublions pas les 10 années de crise politico-sociale qui n’ont rien arrangé. Les dessinateurs sont de nature solitaire. Il faut des opérateurs culturels pour gérer ce volet festival. Car je vois mal des dessinateurs organiser ce genre d’activité. Pas que ce soit impossible ! Faute de temps. Un album de bande dessinée s’élabore sur une année en moyenne. A raison d’une planche par semaine. Sans compter les travaux de commandes. Quels temps a-t-il pour organiser des festivals ? A chacun son métier.
A mon modeste niveau, j’essaie de donner de la visibilité au neuvième art ivoirien et africain. Par la création depuis 2011 de deux groupes sur Facebook : Bande Dessinée Ivoirienne et Bande Dessinée Africaine. J’ai créé Bande Dessinée Ivoirienne sur Wikipédia parce que cela n’existait nulle part. Toujours sur Wikipédia, sur le portail de la Côte d’Ivoire, il y a une rubrique relative à la bande dessinée ivoirienne. Sans compter mes deux blogs que je gère concomitamment et d’autres pages relatives à mes personnages sur Facebook.
Cela bouge, bouillonne. Mais pas comme on l’aurait souhaité. Dans les journaux, il y a comme une sorte d’omerta sur la BD. Mais un critique littéraire comme Macaire Etty a mis en lumière l’univers du 9ème art ivoirien à travers différents articles dans Le Nouveau Courrier. Avec brio d’ailleurs. Tu me permets à travers cette interview de lui dire encore merci pour cet accompagnement. Sans oublier Anne Zelica Ehoura qui m’a aussi permis, à travers un reportage, d’être présent au 20H de RTI 1.
Mais en général, force est de reconnaître qu’il n’y a pas à ma connaissance de journaliste spécialiste de bande dessinée. En Europe, cela existe. Et pourquoi pas en Côte d’Ivoire ? C’est un univers qui a ses règles, son langage, ses codes qu’il faut connaître et maîtriser. Tous ceux qui s’y sont essayés jusque-là ne sont restés qu’en surface. Avec seulement le volet littéraire(le texte). Et le dessin ? Le style ? L’analyse des vignettes? Le matériel utilisé? Il faut bien en parler. La bande dessinée, c’est le texte et l’image. Et l’art en Côte d’Ivoire ne se limite pas qu’à la peinture, à la photographie, au cinéma, à la musique. Par extension. Que ceux qui ont des oreilles pour entendre l’entendent.
« J’ai créé Bande Dessinée Ivoirienne sur Wikipédia parce que cela n’existait nulle part. »
– De toutes tes œuvres, quelle est celle que tu trouves la plus aboutie et pourquoi ?
Elles sont toutes abouties. Je mets le même entrain, la même passion, le même amour dans chacune de mes œuvres. C’est un investissement pour le long terme. Je suis perfectionniste de nature. Il suffit pour cela de regarder de près chacun de mes albums, disséquer chaque vignette.
– Ta dernière sortie est assez récente: Les envahisseurs en 2013! Quel bilan tu en fais ?
Je dirai plutôt mes dernières sorties. L’album « Les Envahisseurs » est sorti chez L’harmattan(Paris) en janvier 2013. Et les 3 albums de la série John Koutoukou sont sortis au mois de juin 2013. Pour répondre à ta question, le bilan est très positif. Plus de 600 ventes pour un album qui coûte 08,50 euros. Et ce sont des chiffres hors Côte d’Ivoire. Je tiens à le souligner. Car cette BD n’a pas connu la promotion que j’attendais ici à travers L’Espace Harmattan Côte d’Ivoire. Et c’est connu ! Bien regrettable ! Hormis cet aspect malheureux, les albums de la série John Koutoukou ont suscité de bonnes ventes. Il suffit pour cela de jeter un coup d’œil sur ma page de profil (Facebook) pour être édifié à ce sujet. Des dédicaces, j’en ai fait plusieurs cette année.
– Comment définirais- tu ton style de dessin ?
Petit Débrouyair
Je surfe sur deux registres : réaliste et semi-réaliste. Quand je travaille sur les séries John Koutoukou ou Petit Débrouyair, j’emploie un style semi-réaliste. Et quand je planche sur « Drame familial : l’adoption », mon style est réaliste. J’ai été nourri aux mamelles de la BD franco-belge avec des auteurs comme Franquin, Hergé, Morris, Jean-Giraud, Roba… Et plus près de nous Jess Sah Bi, Louis Lacombe. Un dessin aux traits, rond convenant bien aux enfants, ados et adultes. Une BD tout public. Dans la tranche d’âge de 7 à 77 ans. Comme l’a si bien résumé Hergé. Avant d’y arriver, je suis passé par différents stades où j’ai dû forger mon style à l’aune de la formation et du travail. Je suis à l’aise aussi bien dans le style humoristique que dans le style réaliste.
– En observant ton travail, on constate que tu as un penchant pour la sensibilisation. Tu décries à travers tes personnages les tares sociales. Tu n’as jamais songé à faire de la fiction?
On ne fait de la fiction que quand on est rassasiés (rires). J’ai dans mes tiroirs deux textes de fiction, mais une fiction ancrée dans la réalité. Les gens sont plus touchés et intéressés quand vos histoires font partie de leur vécu quotidien. Ils s’identifient aux personnages. Le vécu avec un soupçon de fiction touche plus les gens que la fiction pure.
« Non non pas nous! »
– Depuis quelques jours, on te voit faire le teasing d’un projet avec Madame Mariame Gba, directrice de la bibliothèque du District d’Abidjan. Tu en parles un peu ici en exclu?
C’est un projet de littérature jeunesse intitulé « Non, non pas nous ! ». Cela a trait aux problèmes qu’a connus la Côte d’Ivoire. Et cela pourrait s’étendre à toute l’Afrique. Un conflit de génération en substance. Je n’en dis pas plus. Je suis chargé de gérer le volet « illustrations ».
– Merci Benjamin! J’espère qu’on se reverra très très vite!
Merci Orphelie et à très bientôt.

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