Mercredi soir, les rues vides offrent sur un Plateau – celui du quartier des affaires – un étrange spectacle de son et lumière qui tranche avec la permanente agitation quotidienne. Le genre d’affolement que le réalisateur Spike Lee a provoqué avec BlacKkKlansman : l’histoire d’un détective noir qui rejoint l’organisation anti-noirs, le Ku Klux Klan, dans les années 70.

Par Dozilet Kpolo

UN INFILTRÉ DANS LA VILLE

Futur policier infiltré, Ron Stallworh débarque au commissariat de Colorado Springs, ville du Centre-est des États-Unis, pour passer l’entretien d’embauche. Il est sèchement accueilli par l’un de ses supérieurs, noir, qui lui balance à la figure : « Il n’y a jamais eu de flic noir dans cette ville ! ».

Malgré cet accueil glacial mais franc, le rookie gravit les marches jusqu’à créer un double exploit : infiltrer ces racistes, qui network dans leur cuisine, et déjouer les attentats qu’ils ont préparés dans leur sous-sol.

LE FILS À DENZEL ET LES AUTRES

Coupe afrosement bien taillée, courage d’un enfant qui a survécu après avoir répondu à ses parents, gouaille d’un vendeur de télécommande – emballée dans un sac plastique, le fils de Denzel, John David Washington (à l’affiche dans la série Ballers) crève l’écran. Avec cette double identité : unique officier de police noir dans un commissariat majoritairement blanc, seul ange-gardien de la minorité afro-africaine.

Dans ce combat contre ces agitateurs pro-américains, il est très bien remplacé, au moment des rencontres, par son double blanc : Flip Zimmerman (Adam Driver, vu notamment dans Star Wars : Les Derniers Jedi).

Chemise à carreaux de bûcheron, allergique aux grandes villes, cheveux bruns courts, Zimmerman est un grand officier juif non-pratiquant. Sa judéité, il en prend violemment conscience en éructant des propos xénophobes au milieu de cul-terreux assoiffés de sang et de bière fraîche.

Sur sa route, parsemée de traquenards et de basses manœuvres, le duo de flics rencontre pêle-mêle : le leader de la branche locale qui a le charisme d’un crayon à papier neuf, Walter Breachway, Patrice Dumas, une jeune étudiante engagée et wanna-be- like Angela Davis, la tête pensante vide et gros bras chétif paranoïaque de la section locale Félix Kendrickson, etc.

Une liste non-exhaustive des personnages de cette comédie dramatique qui dure deux heures et seize minutes.

TRAIT D’UNION AVEC L’AMÉRIQUE D’AUJOURD’HUI

Un flic noir qui intègre le Ku Klux Klan, il faut le voir pour le croire ! Stallworth, lui-même, y croit péniblement même quand il tient entre ses mains la carte de membre qu’il a reçue.

Qui mieux que Spike Lee pouvait réaliser ce film based on true story ? Lui, le réalisateur et fan des Knicks de New-York à qui l’on doit notamment : Jungle Fever, liaison dangereuse entre un architecte afro-américain et sa collègue italo-américaine, He Got Game, l’ascension d’un prodige du basket-ball, en conflit avec son père incarcéré, le plan à trois sur fond de crise économique She Hate Me, l’haletant thriller Inside Man, etc.

Ultra-présente dans ces films-là, la place de l’afro-américain au pays de la bannière étoilée est à Spike Lee ce que Novelas TV est à une nounou (ivoirienne) : un inépuisable sujet de discussion.

Cette fois-ci, le sexagénaire à la boucle d’oreille part du passé pour faire le lien avec la montée des actes et discours haineux qui semble correspondre avec l’arrivée d’un certain Donald à la Maison Blanche.

Certes sa dramédie (rencontre amicale entre drame et comédie) n’est pas toujours drôle malgré les scènes cocasses, celle où Stallworth se fait passer pour un blanc au téléphone en parlant avec le grand sorcier du Klan David Duke, mais il est percutant dans sa façon de montrer les tares de cette Amérique puritaine. Celle qui défile fièrement à Charlottesville, celle qui s’empare d’une voiture pour percuter des manifestants, celle qui refuse de tendre la main au joueur de footballeur américain Colin Kaepernick quand il s’agenouille – pendant l’hymne national- pour protester contre les bavures policières qui font régulièrement la Une. Oui, cette Amérique-là n’est pas celle de Ron Stallworth mais celle d’aujourd’hui ! Raison pour laquelle Spike Lee a décidé, avec BlaKkKsman, d’enfoncer le Klu.

 

Categories: Arts visuels

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *